Culture du viol et féminisme : où en sommes-nous ?
- Lison FERNANDES
- 27 févr. 2022
- 9 min de lecture
L’actuelle et quatrième vague féministe à laquelle assiste la France, donne lieu à des changements dans l’espace public. La notion de culture du viol est depuis, largement décriée comme étant le frein au progrès de l’égalité. Le dernier remaniement du gouvernement français, contesté par de nombreux groupes de femmes, laisse penser qu’il reste encore du chemin à parcourir sur la route de la justice.

Crédits photographie : Le Monde
Depuis la tornade #MeToo de 2017, suivant l’affaire Weinstein, la prise de parole féminine quant aux violences sexuelles ne cesse de s’accroître. Sous l’égide de cet élan dénonciateur, les comportements à caractère sexistes sont pointés du doigt et l’indignation se globalise. La législation française s’est adaptée, notamment avec les nouvelles lois Schiappa promulguées pour lutter contre les atteintes sexistes et sexuelles. Trois ans après ce tournant féministe, quel bilan dresse-t-on ? Nous avons réalisé un sondage la semaine du 15 juin 2020, (sur un panel mixte, à 98% féminin) afin de voir ce qu’il en était.
Hors des institutions parlementaires et des plateaux télé, les répercussions de ces nouvelles décisions pénales ne sont pas à la hauteur des attentes de la gent féminine. Malgré la sensibilisation étatique et associative encourageant le dépôt de plainte, beaucoup de victimes d’agressions voient leur témoignage remis en question, voire nié par leur entourage et les forces de l’ordre. Ces réactions résonnent comme une double peine pour les plaignantes, qui l’attribuent à l’omniprésence de la culture du viol, soit l’ensemble des comportements et d'attitudes partagés au sein d'une société donnée qui minimiserait, normaliserait voire encouragerait le viol.
En 2019, 52 000 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées (soit 10 000 de plus qu’en 2017), même si la dissuasion de la part des forces de l’ordre lors dudit dépôt demeure courante. C’est ce que nous explique X : « Je me suis confié(e) à la police qui n’a pas pris au sérieux les faits. Ils m’ont demandé comment j’étais habillé(e) lors de mon agression, je ne comprenais pas ce que cela venait faire ici. ». Un autre interrogé confie : « Quand j’étais au collège, je devais être en 5ème ou en 4ème. Tous les mardis 13h, j’ai été attendu par un pédophile, dans sa camionnette, qui se masturbait à chaque fois que je passais. J’ai été porté plainte, cet homme était déjà recherché pour les mêmes gestes devant d’autres écoles. Je n'ai pas été au tribunal et je n'ai pas eu de réponse de sa sentence. ».
Souvent invisibles, les conséquences de ces violences modifient pourtant l’appréhension de la vie des victimes, qui développent une forme de peur viscérale et craignent de voir le schéma se répéter. Comme l’expliquait le professeur Burnod lors d’une précédente interview : « la domination exercée, et cette tentative d’intrusion malsaine dans la vie d’autrui, qui inflige les séquelles et le traumatisme chez la victime. ». C’est ce que Y raconte : « J’ai eu une période de ma vie où il m’était impossible de prendre les transports (donc d’aller en cours), des crises d’angoisses à répétitions. J’avais vraiment peur de tout le monde, comme si ça se lisait sur mon visage que j’étais une victime potentielle. J’ai eu des séquelles physiques. Avec le temps les choses se sont estompées mais malgré tout je crains l’homme, et je ne sais pas comment oublier le passé. ».

Une culture du viol institutionnelle ?
Suite à la récente attribution du poste de Ministre de l’Intérieur à Gérald Darmanin (accusé de viol), les groupes féministes dénoncent un « remaniement de la honte ». La colère gronde, d’autant plus que les nouvelles recrues du gouvernement comptent désormais dans leur rangs l’ancien avocat pénaliste Éric Dupont-Moretti, le nouveau Garde des Sceaux, dont les opinions sur le combat féministe avaient créé des houles en 2018. Il parlait alors d’« hystérisation du débat totalement inutile », lorsqu’il avait été invité à s’exprimer sur les mouvements de dénonciation en vigueur depuis l’affaire Weinstein.
Après les rassemblements qui ont réuni plusieurs milliers de manifestants en hexagone, quelques jours après la proclamation du nouveau gouvernement, Emmanuel Macron a tenté d’apaiser la situation, lors de son entretien du 14 juillet au micro de Gilles Bouleaux et Léa Salamé. C’est sous couvert de solidarité masculine que le Président français a assuré avoir parlé « d’homme à homme » à Gérald Darmanin afin de mettre les choses au clair concernant l’instruction en cours. « C’est une manière de dépolitiser nos luttes, de prétendre que c’est une affaire privée. Or, qu’est-ce qui est plus politique qu’un remaniement ?», réagit Anaïs Leleux, présidente de l’association Pourvoir féministe. Les différents collectifs concernés par la cause, assurent que les protestations ne cesseraient pas tant que la démission du Ministre de l’Intérieur ne serait pas prononcée. Bien que la parole se libère, les décisions prises en hautes sphères laissent peser un sentiment d’incompréhension et d’insécurité chez les victimes. Comment sortir d’un traumatisme quand l’Etat témoigne d’une politique rétrograde en matière de viols et d’agressions sexuelles.
Quelles conséquences pour les victimes ?
En parcourant les témoignages recueillis, on constate que le harcèlement et les agressions sexuelles revêtent des aspects différents au niveau du mode opératoire de ses instigateurs. Cependant notre étude dévoile que l’impact dans la vie des victimes reste le même. C’est ce que nous confie une témoin : « J’ai eu une période de ma vie où il m’était impossible de prendre les transports (donc d’aller en cours), des crises d’angoisses à répétitions. J’avais vraiment peur de tout le monde, comme si ça se lisait sur mon visage que j’étais une victime potentielle. J’ai eu des séquelles physiques. Avec le temps les choses se sont estompées mais malgré tout je crains l’homme, et je ne sais pas comment oublier le passé. »
Si le harcèlement de rue est le plus courant de la part d’inconnus, les agressions elles, sont (selon une enquête réalisée par La Croix) à 80% commises par des proches des victimes. Ces statistiques sont confirmées par la majorité des sondés de notre panel. « Mon meilleur ami a essayé de coucher avec moi alors que j’étais ivre. Quand je lui ai dit non, il a continué en me disant « t’aimes pas ? ». » « Quand j’étais petite, mon grand-père me faisait des attouchements sexuels, à plusieurs reprises, quand j’étais dans son lit en regardant la télévision. », « C’était le meilleur ami de mon père. » sont un exemple des réponses que nous avons recueillies.
Le double tranchant des réseaux sociaux
Tantôt dénoncée, tantôt légitimée, la culture du viol reste un concept difficile à intégrer tant ses facettes sont plurielles. Les réseaux sociaux (Twitter et Instagram notamment) s’emparent des questions d’actualité et deviennent de véritables tribunaux publics. Certains utilisateurs se font les « avocats » des bourreaux, en légitimant les violences proférées envers les femmes via ces plateformes digitales, dont les contenus polémiques ont la propension à devenir viraux. Lors de notre enquête, à la question « Avez-vous eu peur de potentiels jugements concernant votre histoire ? », 44% des réponses des victimes ayant répondu à notre enquête expriment la honte, mais aussi une solide tendance au mutisme par peur d’être jugé ou pire d’être accusé de mensonge. C’est ce que nous confie Z : « J’en ai encore peur aujourd’hui, je ne veux pas que ma parole sois remise en question, et puis pourquoi en parler alors que ça date de plusieurs années ? », ou encore W : « Je n'avais absolument rien à me reprocher. Et malheureusement je savais que je prendrais des réflexions... comme une évidence, c'est toujours de la faute des femmes les agressions dont nous sommes les victimes. ».
Repenser la norme
Les dogmes tacites de la culture du viol sont incorporés aux méthodes d’éducation différenciées en fonction des genres lors du processus de socialisation primaire des individus. Dès le plus jeune âge, on apprend aux petites filles la passivité lorsqu’un enfant masculin du même âge sera poussé vers la stimulation physique, soit l’action. Les conséquences sont pesantes pour V qui se rend compte aujourd’hui du poids de cette éducation : « Que ce soit au collège, ou même encore au lycée, certains garçons n’hésitaient pas à me toucher la poitrine ou les fesses. Quand j’y repense j’aurai dû plus m’imposer et dire stop, voire en parler à des professeurs pour qu’ils arrêtent. ».
L’impact de cette catégorie de comportement est souvent normalisé. Nous nous rappelons Gérald Darmanin, accusé d’avoir usé de sa fonction pour obtenir des faveurs sexuelles, qui expliquait avoir «eu une vie de jeune homme ». Ne pas inculquer le consentement, c’est participer à la culture du viol et l’encourager par la voie passive. M. nous explique : « Il m’est arrivé une fois d’aller me plaindre au CPE lorsque j’étais au collège, car un garçon s’amusait tous les jours à me toucher la poitrine ou les fesses lorsque je passais à côté de lui. Le CPE m’a dit en rigolant que je devrais être flattée car cela prouvait que j’étais jolie et que le garçon en question s’intéressait à moi. C’est là que j’ai compris qu’il y avait un gros problème de respect et également de normalisation de ces actes. Si les filles vont se plaindre, on leur dit d’arrêter d’en faire trop, et les agresseurs ne sont pas inquiétés. ». Selon l’intégralité des personnes interrogées lors de notre sondage, donner les clés de compréhension pour que les agissements sexuellement violents à l’égard des femmes ne soit plus perpétré, s’avère être la solution pour un avenir moins enclin à la misogynie.
Peu de tribunes d’expression pour les victimes et bénéfice du doute pour les agresseurs, très peu inquiétés. C’est le cas de Roman Polanski qui en 1977, après avoir été arrêté aux Etats Unis, inculpé pour six motifs et effectué une première peine de prison, craint d’être condamné à nouveau et prend un avion pour Londres, puis pour Paris. Il ne retournera plus jamais aux Etats-Unis. La justice américaine tentera de faire revenir le réalisateur à maintes reprises, mais la France refuse de l’extrader. En 2009, il est arrêté dans le cadre d'un traité d'entraide judiciaire pénale entre la Suisse et les Etats-Unis mais la Suisse décide alors de ne pas l'extrader non plus et il sera assigné à résidence jusqu'en juillet 2010. Entre 2014 et 2016, les Etats-Unis demandent à la Pologne d'extrader le cinéaste mais en décembre 2016, la Cour suprême polonaise met un terme définitif à sa procédure d'extradition. Depuis, il vit librement entre la France et la Pologne. Bénéfice du doute dont témoignera une témoin : « J’avais 13 ans, j’avais parlé à un garçon sur internet, il était plus vieux que moi, 18 ans. Je ne voyais pas le danger en fait, et j’avais dit à ma mère que je dormais chez une copine. Il est venu me chercher, et directement il a été bizarre avec moi (...) tout le long il m’a forcé à faire de ces trucs... moi je ne me rendais pas compte j’étais trop jeune pour comprendre. Ensuite, sa mère s’est rendu compte de mon âge (je pense qu’elle était dans le coup aussi), elle est venue chez moi, elle a pris ma mère à part avec lui et moi et elle m’a demandé si j’étais bien consentante. Car selon elle, « souvent les filles se retournent après une séparation » donc à ce moment-là je me suis dit qu’elle savait... mais je n’ai pas osé parler et ils sont repartis. Et maintenant il est gendarme. Il est bien placé en plus... avec ma mère on est étonnées qu’il ait réussi les tests avec les psychologues. », rapporte K. Les femmes sexistes existent, et ont souvent intériorisé des normes patriarcales qui permettent à la domination masculine de perdurer. Avec leur appuie, les agresseurs sexuels se voient défendus au détriment du traumatisme des victimes. Nous nous souvenons du soutien que Brigitte Bardot a apporté à Roman Polanski après la cérémonie des Césars de 2020. L’actrice avait confié sur twitter regretter « de n’avoir jamais tourné avec lui » et plaçait le cinéaste en sauveur du cinéma français, le jugeant « sur son talent et non sur sa vie privée. »
L’avancée des mouvements féministes donne lieu à de nouvelles voies de recours pour les femmes victimes d’agressions et violences sexuelles. Les lois mutent et des initiatives de protection sont mises en place (l’ouverture d’une cellule d’écoute pour les femmes violentées pendant le confinement, par exemple), mais dans la majeure partie des cas, les femmes demeurent sous le joug du patriarcat ambiant dans leur quotidien. Selon une enquête révélée le 2 Mars 2020 et réalisée par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie avec l’institut Ipsos, 27% des français pensent toujours que la tenue peut justifier un viol. Une seconde enquête réalisée par le pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop et publiée le 22 juillet 2020, montre que 20 % des Français pensent que « des tétons apparents sous un haut devraient être considérés comme une « circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle ».
Bien que 100% des témoignages que nous avons recueillis reconnaissent que les mentalités évoluent et que l’impact d’un viol ou d’une agression sexuelle est de plus en plus reconnu, les chiffres témoignent également d’une culture du viol fortement ancrée dans la société actuelle, qui ne semble pas être sur le déclin.
Par Lison FERNANDES (Eté 2020)
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