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Interview : Ramzi Saïbi, street artiste aux multiples facettes.

Des rues parisiennes à Hong Kong, RamZ, s’est fait remarquer en alliant calligraphie arabe et graffiti. Issu d’une culture franco-tunisienne, son art devient le reflet d’une recherche identitaire et laisse place à la libre interprétation. Nous l’avons rencontré à Paris, pour découvrir son parcours et ses influences.


Bonjour Ramzi, tu es issu d’une double culture, peux-tu nous parler de tes origines et de ce qui t’a influencé ?

Comme tu l’as mentionné je suis d’origine franco-tunisienne. Donc, né en France, né à Paris. Mes parents sont d’origine tunisienne et sont venus en France pour trouver du travail. Donc, je suis issu de l’immigration et comme beaucoup de jeunes qui sont issus de l’immigration, il y a un moment où tu te poses beaucoup de questions, tu te cherches, tu te demandes d’où tu viens en voyant que tu n’es pas forcément considéré comme français à 100%. On va dire que t’es considéré comme un français de seconde zone. Donc en fait, il y a un moment où tu ne sais pas trop. Moi l’art je baigne dedans depuis très jeune et ma discipline artistique était un peu une manière de concilier ces deux cultures. Cette ombinaison était pour moi une réconciliation et une manière de m’affirmer en tant qu’adulte et en tant que français d’origine tunisienne. Quand t’es jeune t’es un peu entre les deux et tu le perçois un peu comme une faiblesse. Et quand tu arrives à trouver quelque chose qui concilie les deux, tu en fais une force et tu vois qu’en fait c’est un plus, culturellement ton panel est beaucoup plus ouvert qu’une personne qui connait qu’une seule culture.


« Tout ça me fascinait parce que c’était des choses que je n’avais pas l’habitude de voir en France. »

Peux-tu nous expliquer tes premiers contacts avec la calligraphie ?

Le premier contact que j’ai eu avec la calligraphie arabe c’était en Tunisie. L’été c’était le moment que j’attendais le plus dans toute l’année, pour rentrer passer deux mois avec les cousins, avec la famille, avec les amis du quartier. Parce qu’en fait c’était des choses que tu ne retrouvais pas ici. Même le côté un peu chaleureux. C’est des choses quand tu les vis qui te font te dire « mais en fait j’ai de la chance de connaitre ça ». Ici il y en a qui ne connaissent pas ça. Alors que quand j’allais au bled, ce que je voulais retrouver c’était ce côté-là. Le coté famille, le côté chaleur, le côté convivialité. C’était vraiment le truc, le plus, qu’il y a là-bas. Après j’ai appris un peu « à l’arrache ». Ça m’attirait, je ne savais pas lire, je ne savais pas écrire, maisje voyais qu’il y avait quelque chose. Enfin artistiquement, ça m’attirait et esthétiquement. Et c’était aussi une manière de questionner ma deuxième culture. Et donc j’ai commencé à reproduire des choses que je voyais, dans la rue, des choses que tu vois quand tu rentres dans les mosquées, les ornements. Tout ça me fascinait parce que c’était des choses que je n’avais pas l’habitude de voir en France. Il y avait une certaine attraction, un truc que je ne retrouvais pas forcément ici. Et après j’ai voulu au fur et à mesure m’intéresser, j’étais plus autodidacte. Je n’étais même pas dans une démarche artistique où je voulais exposer ou quoi que ce soit, c’était pour moi. Je reproduisais des trucs, je le garder pour moi, c’était QUE pour moi. C’était une manière de l’exprimer. C’était une attirance mais ça restait que pour moi. Ou bien au sein même de la famille mais on ne parlait pas trop de ça. Et le fait de prendre des cours de calligraphie, vraiment des cours avec des maitres, vraiment structurés, ça s’est fait beaucoup plus tard.


Comment as-tu commencé à t’intéresser aux cours de calligraphie de plus près ?

A l’âge de 18/19 ans. C’était très compliqué de trouver des cours. Donc j’ai commencé à m’intéresser. Je me suis dit « pourquoi pas ? », je voyais ce qui se faisait autour, j’allais souvent à l’institut du monde arabe dans le 5ème arrondissement de Paris, parce que c’était que là que tu pouvais trouver des bouquins. Puis avant ça j’ai fait un bac littéraire et j’avais option arts plastiques et c’était bizarre parce que tous mes travaux ils renvoyaient que à ça. C’était que ça. Tout le monde savait : à chaque fois que je pouvais inclure des lettres, il y avait des lettres. (rires) Même quand ça n’avait rien à voir. Je trouvais toujours une manière de bifurquer. Puis au cours de la vingtaine, après avoir obtenu le bac, j’ai commencé. Je voulais partir en Turquie, je voulais m’installer là-bas et apprendre. Parce que là-bas les cours sont gratuits parce qu’ils perpétuent une certaine tradition. A la base c’est un enseignement qu’ils n’ont pas envie de le perdre. Et pour pas le perdre il faut que ça soit gratuit, alors qu’ici à Paris, les maitres calligraphes c’était assez cher. Dans la vingtaine je fréquentais de plus en plus de maitres calligraphes. A Paris, il y en avait de plus en plus. Il y avait des instituts où on donnait des cours, et à chaque fois que je pouvais rencontrer quelqu’un je saisissais l’opportunité. Et après lorsque je rentrais en Tunisie l’été, j’ai rencontré aussi d’autres maitres calligraphes via le bouche-à-oreille et je passais mes après-midis avec eux. Ils étaient extrêmement gentils, ils voulaient me pousser et ils voulaient m’aider. Parce qu’ils savent que si ça devient un business ça va se perdre. C’est comme d’autres formes d’art ou d’autres métiers, des métiers artisanaux. Et ensuite, je me suis dit « mais pourquoi t’inclues pas ton truc à toi ? » Mais ça sera peut-être une autre question. (rires) Et voilà après tu te constitues

un réseau.


« Quand c’est l’art, tu peux toucher tout le monde. »

Ton envie de partir à l’international est-elle venue du fait d’avoir déjà un pied dans d’autres cultures, d’autres origines ?

Oui c’est sûr. Parce qu’en fait tu te rends compte qu’il n’y a pas de limite. Ce que je fais ce n’est pas réservé seulement pour la communauté arabe ou les jeunes qui sont issus de l’immigration. Certes tu t'exprimes dans une langue mais comme un artiste qui fait de la musique, qui chante en wolof par exemple, tout le monde ne comprend pas mais il arrive à toucher les gens, tu ne vas pas comprendre mais tu vas énormément apprécier et rien qu’avec ça tu te rends compte qu’il n’y a pas de barrière. Quand c’est l’art, tu peux toucher tout le monde.


Tu es parti dans plusieurs pays pour apprendre tous les rudiments de la calligraphie, peut-on aller un peu plus dans la technique de ce que tu as appris avec les maitres calligraphes que tu as rencontré ? Par exemple sur l’enseignement en lui-même ou le matériel.

Alors là c’est de la calligraphie classique, vraiment du classique. C’est comme la calligraphie latine, hébraïque, chinoise, japonaise... et il existe différents styles comme dans la calligraphie latine t’as la calligraphie gothique ou le style de la calligraphie romane. T’as plusieurs styles différents, de manières différentes de tracer les lettres etc. Et en fait la calligraphie arabe c’est la même chose. Différents styles ont été ressourcé, c’est les styles les plus répandues. Lorsque tu te rends chez un maitre, il t’impose un style et tu vas tracer des lignes et des lignes de lettres, elles sont complètement décortiquées. Tu as l’impression que c’est un seul élément mais en fait il y a toute une réflexion, il y a des gestes. Tu apprends l’outil, comment le tailler. Parce que c’est un roseau qui est taillé en biseau. Tu apprends à te servir de l’encre, tous ces aspects-là, tous les gestes. Et en fait, ce qui est particulier en arabe, c’est que la lettre elle n’a pas la même forme quand elle isolée, elle a une forme différente quand elle est au début, au milieu ou à la fin d’un mot. Tu as plusieurs formes à apprendre à chaque fois pour chaque lettre. Donc en fait à chaque fois t’es obligé de jouer avec tout ça, et c’est très long. C’est un apprentissage sur plusieurs... c’est vraiment toute une vie. Et t’apprends un petit peu tout ça, mais c’est très long, très long et moi j’avais besoin de créer. Donc j’ai préféré écourter. Mais c’est aussi par souci d’argent, je ne pouvais pas, j’avais pas les moyens, j’étais étudiant c’était compliqué. Je prenais de chaque maitre que je rencontrais. Ensuite, j’ai fait la connaissance d’un artiste irakien très connu à l’international, qui s’appelle Hassan Massoudy. Il est très connu car il a cassé les codes de la calligraphie arabe classique. Il n’y a plus de style en fait avec lui, il a fait son propre style. Et en fait c’est un mix entre de la peinture et de la calligraphie. Il a été très critiqué par les conservateurs mais d’un autre côté, le truc c’est que ce qu’il a fait personne l’a fait avant. Il travaille avec des grands morceaux de cartons assez rigide qu’il trempe dans l’encre et il fait même ses encres, il les pigmente tout seul. Il fait des choses magnifiques. Il a un atelier à Paris sur le canal de l’Ourcq et il me voyait, j’étais un gamin (rires) je devais avoir, je ne sais pas, peut-être 17 ans. Et donc quand je suis allé le voir il me regardait, il me fait « Mais comment tu t’appelles ? » Donc je me suis présenté et je lui ai expliqué que j’avais présenté certaines de ces ouvres au bac et il allait à son atelier il m’a dit « attends reste ici. » et il m’a ramené deux morceaux de cartons, me les a tendu et m’a dit « tiens essaye » et je suis rentré, comme s’il m’avait donné de l’or et directement j’ai commencé à tester, à faire des trucs, et c’est aussi parti comme ça. Je me suis rendue compte qu’il y avait plus de possibilités. Parce que lorsque tu te sers du roseau qui est taillé, tu ne peux pas avoir trop d’épaisseur dans les lettres. La calligraphie classique c’est souvent des petits formats. Alors que lui il a complètement révolutionné les outils aussi. Parce qu’il a modernisé ça et qu’il utilisait un peu de tout. Puis voilà, même moi ça m’a inspiré beaucoup pour toucher à d’autres outils, les marqueurs, les pinceaux plats de peinture. En fait, tu te rends compte que tu peux tout faire. Il m’a beaucoup apporté. C’est vrai que moi mon maitre à côté était très classique.


Y-a-t-il une hiérarchie, certaines personnes sont-elles plus habilitées que d’autres à enseigner

certaines méthodes ?

Oui. Déjà, tu es habilité à enseigner et même à signer ton œuvre quand tu es maitre calligraphe. Et tu

es maitre calligraphe lorsque tu obtiens ce qu’on appelle en arabe « Al Ijaza ». « Al Ijaza » aujourd’hui en langage moderne c’est devenu l’équivalent d’une licence, donc un bac+3, c’est le diplôme que tu obtiens lorsque tu es à la fac. Mais dans le cadre de la calligraphie, l’enseignement ça peut être 5 ans,

ça peut être dix ans, ça peut être huit ans. En fait, c’est une sorte de diplôme qui est fait à la main par ton maitre, c’est comme des paroles qui sont très axé sur le religieux, mais en fait c’est comme une bénédiction où tout ce qui est écrit c’est, pour résumer grossièrement, « que Dieu bénisse telle personne à qui j’ai enseigné tel style » etc. Et c’est un truc en or, un document historique en quelque sorte. C’est comme si ton maitre te donnait l’autorisation d’enseigner ce que lui t‘a enseigné et de signer tes œuvres. Et avant ça tu ne peux rien signer. Parce qu’il estime que tu n’es pas prêt.


« Tu te rends compte qu’il n’y a pas de frontières et que si tu veux, tu peux apprendre la calligraphie.»

Faut-il quand même avoir une base religieuse pour pouvoir faire de la calligraphie arabe ?

Non pas du tout. C’est un art qui est ouvert à tout le monde. Après il y a peut-être cette idée là parce

que la calligraphie arabe est née à un moment dans l’Histoire, où les musulmans ont voulu créer, étant donné qu’il estimait que la représentation humaine, l’iconographie, était prohibée. Mais après quand tu t’y intéresse de plus près tu vois que ça existait déjà en fait en Islam. Mais que ce n’est pas obligatoirement l’idée qui prédomine. C’est beaucoup plus complexe que ça. C’est l’art majeur des arts islamiques, la calligraphie arabe, et c’était pour embellir les lettres du Coran. Etant donné que les musulmans considèrent que le Coran est la parole divine, ils ont fait le maximum pour embellir les lettres. Et donc c’est pour ça qu’on pense qu’il y a toujours l’idée du religieux à côté. Ce n’est pas forcément associer. Les arabes étaient chrétiens avant d’être musulmans, ils étaient aussi juifs, ils étaient polythéistes. Et les premiers chrétiens ils étaient sur la péninsule, ils n’étaient pas en Europe.

C’est aussi ça que beaucoup de gens ne comprennent pas. En plus il y a beaucoup de chrétiens, les chrétiens d’Orient c’est des arabes. Donc les lettres, elles étaient utilisées par tout le monde. Donc non

la connotation religieuse il peut y en avoir une, il y a un lien mais ce n’est pas forcément que ça et il n’y a pas forcément un lien direct avec ça. Et en tant que discipline artistique non, c’est ouvert à tout le monde. Même actuellement, je connais certains maitres calligraphes qui sont américains. Il y a même un maitre japonais aussi. Tu te rends compte qu’il n’y a pas de frontières et que si tu veux, tu peux apprendre la calligraphie mais sans forcément lire, écrire. Mais après c’est vrai qu’il y a un manque à un moment donné, quand tu veux faire des phrases. Mais après c’est une discipline purement visuelle et purement esthétique et c’est aussi un truc que tu ressens en toi. La nationalité ne veut rien dire. C’est beaucoup des préjugés que les gens ont, que c’est forcément religieux ou réservé seulement à la communauté arabe. C’est aussi pour ça que j’ai complètement délaissé le côté lisibilité, c’est devenu complètement abstrait, parce que je ne veux pas qu’il y ait l’idée de lecture.

Parce que quand j’ai découvert la calligraphie arabe je ne lisais pas, je n’écrivais pas et il y avait quand

même une attirance quelque part et c’est un peu ce que j’ai envie de proposer aux gens, en plus tu touches beaucoup plus de gens, c’est plus large.


Tu nous expliquais avoir été reçu avec beaucoup de bienveillance, avez-tu une bonne relation avec tes maitres ?

Oui, très. L’un des maitres calligraphes avec qui j’ai fait une grande partie de mon apprentissage, lui était diplômé de l’école d’Istanbul. Dans la tradition c’est un apprentissage qui est gratuit, et c’est comme un peu une honte, ça ne se fait pas en fait de prendre de l’argent. Après, quand tu vends tes œuvres tu peux c’est normal parce que c’est ton travail mais dans l’apprentissage c’est quelque chose qui est gratuit. Tu n’enseignes pas pour être rémunéré mais pour passer le savoir. Et comme iltrouvait que je sortais du lot parce que j’avais vraiment l’envie il voulait lorsque sa situation se serait améliorée, m’offrir les cours. Bon, après le truc c’est que la vie a fait que ça ne s’est pas fait parce qu’il a dû rentrer au pays et moi je suis resté un peu comme un orphelin. (rires) Puis sur les trois maitres calligraphes avec qui j’ai pu apprendre, deux sont rentrés au pays. Et avec tous ces trucs-là, il est arrivé un moment où je me suis demandé « mais bordel tu fais quoi là ? », et j’ai complètement lâché, parce que j’étais dans les études.


« Ça a été le tournant dans ma carrière. »

Quel a été le déclic pour que tu n’abandonnes pas ?

Pour la petite anecdote, j’ai présenté mon travail à une directrice artistique, elle ne savait pas ce que je faisais, je n’avais jamais exposé de ma vie, je ne montrais pas mon travail aux gens, et en fait je lui ai montré mon travail. Elle était directrice artistique pour un label de musique, et elle s’occupait beaucoup d’artistes lui venaient du Moyen Orient, des artistes un peu contemporains. Donc pas forcément de la musique traditionnelle, c’était plus des rappeurs ce genre de choses. Et un jour je lui ai présenté mon travail je lui ai dit « voilà je veux que tu me donnes ton avis c’est un pote à moi qui fait ça. » Je ne voulais pas qu’elle prenne parti. Enfin qu’elle me fasse plaisir. Et en fait en voyant mon travail elle m’a dit « il faut que tu me le présentes ce mec-là, parce que là on travaille sur un truc, sur une pochette et il faut absolument que ce soit lui qui la réalise. » Et là ça a été le tournant dans ma carrière. C’était le début de quelque chose. Je trouvais ça incroyable qu’elle me dise ça vu son statut. On a collaboré ensemble et c’est de là que c’est parti.


Pourquoi as-tu décidé de montrer ton travail et de ne plus garder ton art seulement pour toi ? Avais-tu passé une étape mentalement ?

Autour de moi je voyais beaucoup d’artistes, beaucoup de jeunes talents. Donc je me disais « Pourquoi pas moi ? Pourquoi tu le gardes pour toi ? ». Je suis quelqu’un qui est réservé mais j’étais encore plus réservé avant. C’était incroyable, je ne pouvais même pas montrer mon travail, en fait je n’avais pas confiance en moi à l’époque. Et le fait de savoir que ça plaisait, et que les opportunités se sont présentées à moi au fur et à mesure à travers les années, ça m’a permis de booster cette confiance. Même l’histoire de la double culture c’est après que je m’en suis rendu compte. Il ne faut pas écouter pas tous ceux qui te disent que non, même tu te sens toujours un peu à l’écart. Puis mes parents voulaient absolument qu’on réussisse dans les études, et nous ont mis en école privée et c’est vrai que là, j’étais le seul rebeu, et je me sentais trop à l’écart. Et en plus c’était une école catholique. T’étais très à l’écart même dans la manière de présenter les choses. Je pense qu’aujourd’hui, l’enseignement, enfin si on devait voir avec les programmes, c’est très décalé et c’est normal que les jeunes ne se retrouvent pas dans ces choses-là. Je ne parle pas par rapport à l’aspect religieux, parce que tu faisais ce que tu voulais, c’était dans la manière de présenter les choses, c’était un peu bizarre. Moi c’est ce qui m’a sauvé, l’art, je le dis. Vraiment parce que je savais que c’était ça que je voulais faire. Au début je ne savais pas quel métier je voulais faire, mes parents me demandaient et je ne savais pas quoi leur répondre, je me suis rendu compte que toutes les études que j’ai faites c’était pour eux, pas pour moi. Si je devais revenir en arrière je me serais consacré à mon art beaucoup plus tôt. Mais après je sais que ce sont des choses qui serviront toujours. C’est qui fait que je suis là aujourd’hui.


« C’était évident qu’il fallait mixer les deux. »

Tes œuvres témoignent de la fusion entre calligraphie arabe et art contemporain, entre deux cultures, entre deux mondes, Orient et Occident, comment réussis-tu à mêler les deux ?

Il y a un moment donné où je me disais « mais pourquoi tu ne crées pas ? Pourquoi tu ne lances pas ton truc ? » parce que j’en avais besoin. J’avais besoin d’être dans un truc de création et je me disais « mais combien de temps ça va prendre ? » puis vu l’environnement dans lequel j’étais c’est « normal » que j’en sois arrivé à mêler les deux. Je dis souvent que l’environnement dans lequel tu es t’influence. Quand t’es à Paris, tous les jours tu prends le métro pour aller en cours ou pour te déplacer. Et comme dans toutes les grandes villes t’as du graff partout. Et c’est là où je me suis dit que c’était ma culture également. Dans les années 80/90, dans le domaine du Hip Hop, c’était une période très riche artistiquement. Certes dans le classique je me reconnaissais. Il y avait ma culture, la culture des parents, le bled, la Tunisie etc. Mais en fait il me fallait un truc aussi qui fasse penser à ma deuxième culture, pour donner quelque chose qui me représente entièrement au final. Ce que je fais aujourd’hui ça a toujours été un peu le miroir de ce que je suis. Et j’ai inclus ce truc-là. Au début c’était le contemporain, c’était l’art contemporain. A l’époque je m’inspirais beaucoup de Jackson Pollock parce que lui il travaille beaucoup avec des trames de peinture, c’est un artiste que j’avais beaucoup étudié au lycée et ça me fascinait. Et en fait il y avait tous ces trucs-là, enfin tout cet apprentissage là pendant ces années où j’étais en arts plastiques en seconde, première et terminale. Ça s’est fait naturellement. Et maintenant avec le recul je me dis que c’est normal d’en être arrivé à ça parce que je ne pouvais pas rester que dans le classique parce que ça ne me ressemblait pas complètement mais je ne pouvais pas faire que du contemporain et oublier mon autre culture parce que ça ne me ressemblait pas non plus. C’était évident qu’il fallait mixer les deux.





Comment as-tu commencé à mélanger les deux ? Comment est-ce que tu créais ?

On va dire que le graff est venu un petit peu plus tard. Au début c’était plus des fonds avec des trames de peinture et une calligraphie dessus. Enfin des choses qu’on n’avait pas l’habitude de voir, que je n’avais pas l’habitude de voir dans mon apprentissage classique. L’apprentissage classique il est très carré, très propre, et en fait j’avais besoin d’avoir un truc spontané. Et c’était ça aussi que je voulais. Donc c’était beaucoup de lettres, des compositions, il y avait des phrases, il y avait des mots, mais toujours dans un univers où on voyait cette touche d’art contemporain. Puisle graff c’est venu un petit peu après quand je voyais que la culture urbaine avait de plus en plus d’impact sur la société. Au début les graffeurs étaient considérés comme des vandales et aujourd’hui ils se retrouvent chez Louis Vuitton. Mais bon bien avant cette période-là la culture urbaine a commencé à rentrer dans les galeries. Mais voilà, au début c’était des compositions qui mêlaient un peu les deux. Beaucoup de couleurs aussi, parce qu’en classique c’était du noir. De l’encre sur une planche ou sur un papier type manuscrit, c’est du papier marbré en fait. Bon c’est une technique, c’est un art ancestral qui vient de Turquie, c’est fait avec des motifs floraux. Du coup c’était vraiment en décalé avec tout cet aspect très carré du classique. Au final j’ai regroupé les deux, pour montrer qui j’étais vraiment au final. Mais sur le coup je ne pensais pas à ça. C’est après que j’ai compris, avec le temps. Parce que je n’avais pas suffisamment de recul pour penser de cette manière. C’est après que tu en prends conscience. Avec le recul mais par rapport aussi au regard des gens qui voient des choses dans ton art. Même maintenant c’est toujours le cas. Certaines fois tu as des gens qui ne sont pas du tout arabophones, ils ne voient même pas que c’est des lettres. Ils vont voir carrément autre chose, et c’est eux aussi qui te donnent des idées. C’est ce qui montre que c’est vraiment accessible à tous. C’est subjectif et chacun l’interprète comme il a envie de l’interpréter et je me suis rendu compte que c’était ça qui était dingue et c’est pour ça aussi que je me suis écarté du côté lecture. Parce que d’un côté le premier comportement qu’on les arabophones c’est que comme ils savent lire ils vont vouloir lire. Etant donné qu’il a déjà eu le côté calligraphie dans sa vie, il va essayer de déchiffrer. Alors que quelqu’un qui ne lit pas l’arabe il va s’intéresser plus à l’aspect esthétique, il sera plus dans l’émotion, plus dans l’interprétation libre. Et le fait de me détacher complètement d’un sens, il y a une histoire derrière, c’est le rapprochement de deux cultures, c’est ce que je suis aujourd’hui. Il y a tout un historique, même socialement. C’est aussi une interrogation sur ce que je suis, sur ce que d’autres peuvent se poser comme question.


Tu exposes régulièrement en France, mais aussi à l'étranger et travaille sur de nombreux projets mêlant la calligraphie à d’autres formes d’arts, peux-tu nous parler de ceux en cours actuellement ?

Récemment on va dire sur les 5/6 dernières années j’ai participé à des projets qui sont solides, qui sont structurés. Il y a une performance que j’ai monté avec une artiste contemporaine qui s’appelle Alexia Traoré. La performance s’appelle WISSAL, on a une version au théâtre, donc on a des représentations théâtrales, beaucoup sur Paris, dans les théâtres parisiens. WISSAL en arabe ça veut dire « l’union de deux choses » ça peut être de deux êtres, ça peut être de deux disciplines, c’est vraiment un terme général. Donc ça mêle les arts visuels, ma discipline à moi, le calligraffiti et la danse. Et en fait on mélange les deux. Il y a Alexia qui danse sur scène et moi mes œuvres qui ont été sélectionné au préalable en suivant des thématiques sont projetées directement sur le fond de scène et sur ses vêtements. Et ça questionne beaucoup le milieu urbain et la question d’où on vient. Alexia est française et elle s’inspire de son vécu et des gens qu’elle a côtoyé. Donc on est dans la même démarche. On a aussi une version « hors les murs » et c’était cool parce qu’on pouvait aussi l’utiliser dans le cadre du Covid-19. C’est une version en plein air où moi j’interviens sur des grandes toiles derrière pendant qu’elle danse. Parfois il y a des interactions et des fois je peins directement sur ses habits, en live.


Peux-tu nous dire ce qu’est le projet MAY THE LIGHT BE WITH YOU ?

C’est un projet photo en cours, que j’ai lancé entre 2014 et 2015. En fait j’ai découvert la technique du light painting, où tu peux dessiner avec la lumière. Donc c’est une technique photo, et je voulais toucher aussi un peu le monde de la photo. Puis c’est une technique que je trouvais très contemporaine, très futuriste. Ça me faisait penser à Star Wars, donc j’ai repris un peu la fameuse expression en rajoutant « light » au lieu de « force ». Au début je faisais pas mal de clichés même sur Paris, et comme je voyageais beaucoup aussi je voulais inclure cette nouvelle approche du calligraffiti et des lettres arabes via cette technique photo mais dans un cadre beaucoup plus large. Ce projet qui s’appelle MAY THE LIGHT BE WITH YOU est un projet très ouvert, culturellement, socialement, à l’international. Et en fait j’ai choisi 5 destinations, chaque destination renvoie à un continent et l’idée est d’aller dans une ville et de réaliser des clichés sur place. Et ce qui est bien dans le graff Lightning, c’est qu’on a l’écriture devant et on voit le décor derrière. C’était une manière de montrer que voilà peu importe l’endroit où on est, on est capable de toucher les gens. Puis les gens quand ils te voient faire ça, ils ont envie d’essayer, de tester donc tu leur expliques un peu ta discipline même si eux ce n’est pas leur langue. Le premier épisode il s’est passé en Asie, donc c’était quand je suis parti à Hong Kong j’avais fait un truc là-bas. La finalité de ce projet là c’est de faire une exposition qui retranscrit les 5 destinations avec pas mal de clichés que j’aurai sélectionné. Pour faire vivre le projet en attendant qu’il aboutisse, parce que c’est un projet qui est toujours en cours, je voulais à chaque fois que je reviens revenir avec une sorte de clip vidéo pour que les gens me voient réaliser les clichés que je vais exposer. Avec le cadre, avec des gens qui vont parler, ça peut être un documentaire, ça peut être un clip, ça peut être un mini film, un court-métrage, pour montrer tout ce que j’ai vécu là-bas, les gens qui m’ont marqué, les témoignages. C’est aussi une approche qui essaye de rapprocher les gens à travers une forme artistique qui peut être étrangère à quelqu’un. Puis je suis tombé sur beaucoup de gens qui font allusion, quand ils voient écrit en arabe, ils font allusion à l’islam extrémiste, ça te pousse à changer les mentalités. Et c’est dommage qu’on en arrive là. Il y a une actualité certes, mais après faut pas tout mélanger.


« Chacun s’y retrouve et je n’ai pas forcément besoin de mettre une signification dessus. »

Tu as également lancé ta marque de vêtement ?

Ce n’était pas vraiment volontaire (rires). En fait pendant les expos il y a une œuvre qui revenait assez souvent et je m’amusais à la faire porter sur du vêtement aux gens qui venaient en fait aux expos. C’était des t-shirts qui étaient réalisés en premier avec la calligraphie avec des œuvres à moi. Et au final les gens me disaient « ça serait bien que tu lances un truc. » Quand j’avais fait ça c’était à Hong Kong, parce que je voulais lancer quelque chose là-bas. Je suis resté 3 semaines la première fois et la deuxième fois c’était une semaine. Donc l’idée elle est partie de là et en 2017 j’ai lancé ma structure et la marque elle est de 2018 et il y a une première collection qui a été lancé. Il y a aussi une collection éphémère qui s’inspire de la première et c’était aussi une manière de promouvoir mon art différemment, de le porter, c’était plus un projet commercial. J’aime bien toucher un petit peu à tout. Et c’est vrai que ça interroge, ça pousse les gens à se poser des questions. L’œuvre en fait, la première collection quand tu la vois t’as pas l’impression qu’il y a un message tu vois ce que je veux dire ? T’as pas l’impression que c’est des lettres. Ceux qui connaissent savent que c’est un style classique qui s’appelle le Kufi, qui vient de la ville de Koufa en Irak, c’est pour ça qu’il s’appelle comme ça. Et en fait c’est beaucoup de géométrie, c’est une espèce de labyrinthe et il y a une signification. Le but c’est de renvoyer des messages un peu universels. Ça veut dire « la plus grande pauvreté est l’ignorance. » Après je ne cherche pas à ce que les gens sachent ce qu’il y a écrit. Il y en a ça leur fait penser à Pac-Man donc après je me suis amusé à mettre des Pac-Man dedans. Il y en a ça leur fait penser à un QR code donc il y a pas mal de photos où les gens sont comme s’ils étaient en train de scanner le truc. Chacun s’y retrouve et je n’ai pas forcément besoin de mettre une signification dessus. Les gens peuvent le savoir s’ils font des petites recherches ou bien ils me posent la question. Mais je garde toujours ce petit côté mystère et ça pousse toujours les gens à interpréter et ça peut donner des trucs auxquels moi je n’aurai pas pensé. Et voilà, le 12 septembre prochain ça fera deux ans, et voilà je suis content j’ai eu plusieurs petits partenariats avec des structures qui marchent bien.


On pourra te retrouver sur d’autres évènements prochainement ?

Oui, j’ai aussi un évènement qui aura lieu au mois d’octobre, ça sera des performances qui se dérouleront sur la ville d’Anières sur deux jours. L’évènement s’appelle les PODADA c’est l’acronyme de Portes Ouvertes D’Ateliers D’Artistes. Les artistes ouvrent leurs ateliers, t’as différents secteurs, t’as ceux qui sont dans l’art urbain par exemple, ils interviennent directement dans la rue. C’est un festival. Et pour finir j’ai un autre évènement au mois de mars. C’est un festival qui devait se passer au mois de mars 2020 mais qui a été annulé à cause du covid-19. C’est le Printemps des écritures, en 2021.


Qu’aimerais-tu ajouter pour la fin ?

Une chose que je dois souligner, c’est que moi aujourd’hui, je ne me présente pas comme un calligraphe, pour tous les aspects que j’ai évoqué. Parce que c’est un art que j’ai côtoyé, et qui m’a beaucoup apporté, sur lequel je me base. C’est-à-dire que je me base sur le classique pour innover. Mais pour un novice c’est de la calligraphie arabe alors que non. On est beaucoup, il y a d’autres artistes issus de l’immigration qui sont dans ce courant là et qui ont dû innover parce qu’en fait il y avait un moment où ils n’avaient pas accès à cet art-là. Je ne me considère pas comme calligraphe, parce que c’est vraiment quelqu’un qui a un cadre structuré, qui a un apprentissage, qui a eu un diplôme etc. Et donc moi par respect pour ces personnes-là, je ne peux pas me revendiquer comme calligraphe. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui je me considère comme artiste, comme street artiste, comme lettriste, une personne qui utilise les lettres arabes dans son travail. Mais à aucun moment je peux me revendiquer calligraphe. Ma formation n’a pas été poussée comme d’autres qui ont sacrifié des années et des années pour atteindre ce niveau-là. Ce serait un manque de respect par rapport à cette discipline-là. Après je m’en inspire, on retrouve des bases classiques mais je ne me revendique pas comme calligraphe. C’est souvent l’étiquette qu’on me donne mais parce que les gens ne connaissent pas. Aujourd’hui je dis que je fais du calligraffiti parce que c’est un terme qui est devenu de plus en plus utilisé.


Propos recueillis par Lison FERNANDES (Juillet 2020)

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